Categories
Blog

Les crimes belges au Congo : la brutalité de l’esclavagisme

Grâce aux mobilisations Black Lives Matter, contre le racisme en général, et le racisme contre la population africain-américain en particulier, devenant un phénomène international, de plus en plus de gens cherchent à connaître la vérité sur le sombre passé des puissances coloniales et la poursuite du néo-colonialisme aux temps présents. Les statues de figures emblématiques du colonialisme européen sont démystifiées ou font l’objet de dénonciations salutaires.

Il en va de même pour les statues de personnes qui, aux États-Unis, symbolisent l’esclavage et le racisme. Le moment est arrivé de saluer toutes les initiatives et les actions visant à dénoncer les crimes coloniaux, à établir la vérité sur les atrocités passées, à mettre en évidence les instruments du néocolonialisme et à toutes les formes de résistance du passé au présent.

Quelles sont les raisons derrière le colonialisme esclavagiste au Congo ?

À la fin du 18e siècle, plus de cent ans avant la colonisation du Congo par Léopold II, les treize colonies britanniques d’Amérique du Nord ont été libérées de la couronne britannique après avoir mené une guerre d’indépendance. En conséquence, les États-Unis d’Amérique ont été créés en 1776. Dans d’autres parties du globe comme l’Asie du Sud-Est et l’Inde, l’Empire britannique a renforcé son emprise coloniale, qui se maintient jusqu’au milieu du XXe siècle. Les Néerlandais ont renforcé leur domination sur l’Indonésie. Les mouvements de libération ne se limitaient pas aux colons récemment arrivés de souche européenne. Le peuple courageux d’Haïti, descendant direct des Africains, a obtenu son indépendance de la domination française en 1804. Au cours des vingt années suivantes, l’Amérique latine a traversé une phase de guerres d’indépendance dirigées par des révolutionnaires tels que Simon Bolivar, qui ont réussi à vaincre les Espagnols.

A cette époque, l’Afrique subsaharienne était à peine colonisée par les Européens même si elle était soumise aux effets de la colonisation sur les autres continents, étant la principale victime de la traite triangulaire et du transport des esclaves. Entre le 17ème siècle et le milieu du 19ème siècle, des dizaines de millions d’Africains ont été réduits en esclavage et transportés vers les Amériques. C’est dans le dernier quart du XIXe siècle que l’Afrique subsaharienne est tombée sous le coup de la colonisation européenne : principalement britannique, française, allemande, portugaise et dans le cas du Congo, belge.

Lorsque Léopold II accéda au trône de Belgique en 1865, il voulait que son pays ait aussi une colonie, tout comme les autres. Avant de devenir roi, Léopold II avait vu comment le colonialisme fonctionnait dans de nombreuses régions : à Ceylan, en Inde, en Birmanie, en Indonésie et il avait particulièrement aimé la façon dont cela était fait à Java, en Indonésie par les Néerlandais, cela devient son exemple directeur, un exemple basé sur le travail forcé.

Le discours messianique pour justifier l’intervention colonialiste en Afrique

Il avait envisagé de coloniser une partie de l’Argentine, puis s’est penché sur les Philippines, mais le prix demandé par l’Espagne était trop élevé. Enfin, il a décidé de s’emparer du bassin du Congo. Au XIXe siècle, les Européens ont justifié leur politique coloniale par des arguments de christianisation des païens, d’introduction du libre-échange (encore un discours actuel) et en Afrique subsaharienne, de la fin de la traite des Arabes.

En 1876, Léopold II organise à Bruxelles une Conférence géographique internationale dont l’objectif est tout à fait cohérent avec l’esprit de l’époque: « Ouvrir à la civilisation la dernière région du globe où elle n’a pas encore pénétré, renvoyer les ombres enveloppant encore des populations entières, est, j’ose le dire, une croisade digne de ce siècle de progrès (…) Il me semble que la Belgique, Etat central et neutre, serait le bon endroit pour tenir ces retrouvailles (…) Dois-je vous rassurez-vous que lorsque je vous ai tous appelés ici à Bruxelles, je n’étais pas motivé par l’égoïsme ? Non, messieurs, la Belgique est peut-être un petit pays mais elle est heureuse et satisfaite de sa condition : ma seule ambition est de bien la servir ».  Peu de temps après, il engagea l’explorateur britannique Henry Morton Stanley, qui venait de traverser l’Afrique d’est en ouest en suivant le fleuve Congo jusqu’à son estuaire / embouchure.

En 1885, à la conférence de Berlin, après de nombreuses manœuvres diplomatiques, Léopold II obtient l’autorisation de créer un État congolais indépendant qui devint connu sous le nom d’État indépendant du Congo. Dans son discours de clôture à la conférence, le chancelier Bismarck a déclaré : « Le nouvel état du Congo sera un jour un excellent exemple de ce que nous souhaitons accomplir, et j’exprime mes vœux les plus profonds pour son développement rapide et la réalisation des nobles désirs de sa illustre créateur ».

Bien qu’il ait prononcé de grands discours dans de grandes conférences, Léopold II avait ailleurs un discours très différent : dans des documents qu’il envoyait à ses délégués du CFS dont la tâche était d’extraire les bénéfices, ou ses déclarations à la presse. Par exemple, dans une interview avec Leopold II parue dans le journal new-yorkais Publisher’s Press le 11 décembre 1906 – vingt ans après la conférence de Berlin – il a déclaré: « Lorsqu’il s’agit d’une race composée de cannibales depuis des milliers d’années, il faut utiliser des méthodes qui secouent leur paresse et leur font comprendre les aspects sains du travail ».

 

L’esclavagisme s’impose de forme brutale au Congo de Léopold II

A partir du moment en 1885 où Léopold II pouvait créer à partir de rien l’État libre du Congo comme son propre État personnel, il publia un premier décret qui déclara toutes les terres inexploitées comme propriété de l’État. Il s’est emparé de la terre même si la raison de la création du CFS était de permettre aux chefs de conclure des accords et de se défendre contre les marchands d’esclaves arabes. Avec l’aide de Stanley, il a passé une série de traités avec des chefs tribaux congolais par lesquels les terres de leurs villages et de leurs territoires passaient sous le contrôle du chef d’État du CFS, Léopold II. D’autres terres, qui étaient d’immenses territoires, ont été déclarées vacantes et sont donc devenues la propriété du CFS

À ce stade, Léopold II a utilisé le modèle appliqué par les Pays-Bas à Java à l’exploitation du Congo par son pays. Le roi s’est accordé le monopole de presque toutes les activités et sources de richesse congolaises. Son modèle impliquait de récolter un maximum des ressources naturelles du Congo par des stratégies qui n’ont rien de commun avec les méthodes modernes de production industrielle. Léopold II entretient une force coloniale avec une armée majoritairement composée de Congolais mais avec des officiers belges, afin d’imposer le respect de l’ordre colonial et des systèmes d’approvisionnement obligatoires. Il a utilisé systématiquement des méthodes terriblement brutales. Afin de contraindre les chefs de village et autres hommes à aller récolter, leurs femmes ont été emprisonnées dans des camps de concentration, où, régulièrement, elles étaient abusées sexuellement par des colons ou par des Congolais de la Force publique. Si les résultats et les quantités requis n’étaient pas atteints, des personnes étaient tuées « à titre d’exemple » ou mutilées. Des photographies de cette époque montrent les victimes de telles mutilations, et ces photographies révèlent un but précis. Les soldats de la Force Publique devaient prouver que chaque cartouche avait été utilisée de manière appropriée, et couper les mains se faisait avec des machettes et ne nécessitait pas de tirer.

La récolte du caoutchouc commence en 1893, et est liée à la demande de pneus par les débuts de l’industrie automobile et au développement de la bicyclette. Les chiffres de production montrent 33 000 kilos de caoutchouc en 1895 ; 50 000 kilos en 1896 ; 278 000 kilos en 1897 ; 508 000 kilos en 1898… Des récoltes aussi énormes ont généré d’énormes bénéfices pour les entreprises privées créées par Léopold II, qui était aussi leur principal actionnaire, pour gérer l’exploitation de l’Etat indépendant du Congo. Le prix d’un kilo de caoutchouc à l’embouchure du fleuve Congo est 60 fois inférieur au prix du marché en Belgique.

L’indignation international contre les crimes du régime belge se déclenche

Cette politique a finalement déclenché une énorme campagne internationale contre les crimes perpétrés par le régime de Léopold II. Des pasteurs noirs aux États-Unis protestaient contre cette situation, puis ont été rejoints par l’activiste britannique E.D. Morel. Il a observé que si Léopold II affirmait que la Belgique entreprenait des échanges commerciaux avec l’État indépendant du Congo, les navires revenaient du Congo avec des cargaisons de marfil et des milliers de kilos de caoutchouc, et les cargaisons de retour étaient principalement des armes et des denrées alimentaires pour les forces coloniales. Morel considérait cela comme une sorte de commerce très étrange. A l’époque, les Belges soutenant Léopold II n’ont jamais reconnu cette vérité. Ils déclarèrent que Morel représentait les intérêts de l’impérialisme britannique et ne critiquait les Belges que pour prendre leur place.

Cependant, les critiques se sont accrues, avec des livres tels que Heart of Darkness de Joseph Conrad et The Crime of the Congo, œuvre trop méconnue d’Arthur Conan Doyle, le créateur de Sherlock Holmes. Une campagne internationale contre l’exploitation du Congo a généré des manifestations aux États-Unis et aussi en Grande-Bretagne, qui ont finalement produit des résultats. Léopold se voit contraint de créer une commission d’enquête internationale en 1904, qui se réunit sur place, au Congo, pour recueillir des preuves. Les témoignages reçus là-bas sont accablants. Ils sont disponibles sous forme manuscrite dans les archives de l’Etat belge.

De là, on apprend, par exemple, que la part du budget de l’État indépendant du Congo destinée à couvrir les dépenses militaires variait, année après année, entre 38% et 49% des dépenses totales.

On peut considérer comme une certitude que le roi des Belges et l’État indépendant du Congo, qu’il dirigeait avec l’accord du gouvernement et du parlement belges de l’époque, sont responsables de « crimes contre l’humanité » commis délibérément. Ces crimes ne sont pas des maladresses, ils sont le résultat direct du type d’exploitation à laquelle la population congolaise a été soumise. Certains auteurs éminents ont parlé de « génocide ». Certains auteurs sérieux estiment que la population congolaise en 1885 était d’environ 20 millions, et écrivent qu’en 1908, lorsque Léopold II a transféré le Congo en Belgique, créant ainsi le Congo belge, il restait 10 millions de Congolais. Ces estimations d’auteurs réputés sont cependant difficiles à vérifier en l’absence d’un recensement de la population.

Que l’activité coloniale de Léopold ait fait des millions ou des dizaines de milliers ou des centaines de milliers de victimes innocentes, cela ne changerait rien au fait qu’il s’agissait d’une affaire de crimes contre l’humanité, et c’est fondamental pour rétablir la vérité historique. Les citoyens, et notamment les jeunes, entrant dans la mairie de la ville de Liège, ou allant de la rue du Trône à la place Royale à Bruxelles, passent une plaque saluant l’œuvre de colonisation, ou passent devant la statue équestre de Léopold II. Les citoyens passent devant la statue de Léopold II érigée sur le front de mer d’Ostende. Ils voient un majestueux Léopold II avec, à un niveau inférieur, des Congolais reconnaissants tendant leurs mains vers lui. Le seul commentaire là-bas commémore le rôle civilisateur de Léopold dans la libération des Congolais de la traite négrière… Il est urgent de rétablir la vérité historique, d’arrêter de mentir à nos enfants, d’arrêter de mentir aux citoyens belges, d’arrêter d’insulter la mémoire des victimes, et de leurs descendants, et de ces descendants des Congolais qui ont été soumis corps et esprit à une domination vraiment terrible.

Ce devoir de mémoire doit également être accompli ailleurs. Évitons tout débat du genre “Tout ce que vous faites est de critiquer la Belgique et de ne rien dire sur ce qui se passe ailleurs”. En effet, le contexte plus large est mentionné au début de cet article : la Grande-Bretagne a dominé l’Asie du Sud avec une brutalité extrême ; les Pays-Bas ont dominé les populations de l’Indonésie avec une grande violence ; avant cela, les trois quarts de la population de ce qu’on appelait alors « les Amériques » avaient été exterminés. L’Etat belge n’a certes pas le monopole de la brutalité, mais pour les citoyens belges, avec nos amis congolais, et avec des ressortissants d’autres pays vivant maintenant en Belgique, il est fondamental que nous n’oublions pas, et que nous restaurions la vérité historique.